Introduction
Images "De la Force de l'Imagination"
Aide à la lecture des notes manuscrites de Montaigne
Les six pages du chapitre « De la force de l’imagination » (Essais, I, 21 dans l’édition de 1588 ; Les Essais, I, 20 dans l’édition de 1595 et dans toutes les éditions posthumes) permettent de donner ici même un aperçu de la façon dont on pourrait procéder pour préparer la numérisation de l’Exemplaire de Bordeaux (EB), cet hybride d’imprimé corrigé et de manuscrit rogné grâce auquel nous pouvons apprécier le travail effectué par l’auteur sur son propre texte au cours de ses dernières années.
Plutôt que de parler d’EB, il serait d’ailleurs plus juste de parler de 1588-EB, c’est-à-dire de cet exemplaire de l’édition de 1588 conservé à la Bibliothèque de Bordeaux, que l’auteur a copieusement corrigé et amplifié de sa main, à l’exception de trois ajouts dictés, dès 1588, à Marie de Gournay. Sans doute « en blanc » lorsque Montaigne s’en est servi, cet exemplaire a été rogné lors d’une reliure postérieure, si bien qu’il faut, quand on entreprend d’éditer EB en l’état, bien distinguer entre le miroir et les marges du document.
Dans le miroir, c’est-à-dire dans le cadre délimitant la surface imprimée, l’auteur a en quelque sorte validé le texte qu’il ne corrigeait pas, mais il a aussi supprimé par rature des lettres, mots, syntagmes ou phrases entières, modifié des lettres ou des ponctèmes par surcharge, placé dans l’interligne des mots, syntagmes, phrases de substitution. Dans les marges, il a reporté d’abord quelques corrections, à l’intention d’un copiste ou d’un imprimeur, puis amplifié son texte par des ajouts nombreux qui l’ont parfois obligé à utiliser tous les espaces blancs de la page et même, en cas de saturation, à poursuivre sur une autre page son travail d’addition. Entre le miroir et les marges, des signes de connexion ou guidons dupliqués font le lien par appel (signe placé au lieu d’insertion dans le texte imprimé) et renvoi (même signe devant l’ajout marginal à insérer). Dans une certaine mesure, ils nous renseignent parfois sur la chronologie relative de ces opérations, qu’une analyse proprement graphique permet plus ou moins d’étayer.
À une tache d’encre près, le miroir de 1588-EB est intact, y compris les interventions manuscrites sur le texte imprimé. Les marginalia ont été, quant à eux, amputés au moment de la reliure de différentes façons et à divers degrés : perte de lettres (initiales ou terminales), de mots brefs, de guidons (en début de ligne) et de ponctèmes (en fin de ligne) dans les additions latérales ; perte plus substantielle de lignes entières en tête et en pied de page, y compris, parfois, de guidons qui permettaient de savoir où insérer l’addition — ou ce qu’il en reste —, soit dans l’imprimé, soit au cœur ou à la suite d’une autre addition manuscrite. Il arrive qu’ainsi mutilée, une addition soit peu lisible, ou difficile à insérer à l’endroit prévu par l’auteur, sauf à recourir au texte de l’édition posthume qui permet de combler les lacunes importantes selon toute probabilité, d’insérer les additions aux bons endroits, de vérifier qu’on ne s’est pas trompé en supputant ce qu’étaient les débuts et fins de ligne avant rognure, bref de restituer autant que possible le texte d’EB tel qu’il était avant rognure.
Autrement dit, quand 1588-EB défaille, 1595 vient à son secours, du moins quand il ne s’agit pas de mots manuscrits à la fois supprimés par rature et rognés, ou bien de ponctèmes qui auraient disparu en fin de ligne, car dans ce cas 1595 n’apporte aucune aide. Reste le cas, problématique, où 1595 fournit un développement supplémentaire qui n’a pas pu, matériellement, se trouver sur 1588-EB avant rognure, cet ajout excédant à l’évidence les dimensions de la lacune. Dans ce cas, il faut supposer, soit l’existence d’un brevet inséré à l’origine dans le document, puis perdu (au f° 290 v°, par exemple, un guidon d’appel signale un ajout dont 1595 nous montre qu’il était trop long pour prendre place sur EB), soit l’usage par Montaigne d’un autre exemplaire où se serait poursuivi son travail d’amplification (celui qui a été envoyé par Mme de Montaigne et sa fille à Marie de Gournay après la mort de l’écrivain ?). Éditer 1588-EB, ce sera donc en maints endroits éditer 1588-EB-1595. L’essentiel est, dans une édition « archéologique », de bien préciser ce qui subsiste de 1588, ce qu’ajoute ou modifie EB manuscrit, ce qu’on importe de 1595. La numérisation en couleurs permet de mettre en valeur ces distinctions : par exemple, comme ci-après, le noir pour EB imprimé, le bleu pour EB manuscrite sur EB, l’orange pour tout emprunt au texte de 1595 imprimé (métadonnées en marron dans un corps plus petit.
Le chapitre « De la force de l’imagination » occupe, dans l’édition de 1588, les feuillets 34 v° à 37 r°, soit six pages, dont la dernière accueille aussi le début du chapitre suivant. Les transcriptions successives fournies ci-dessous visent seulement à faciliter la lecture du fac-similé. Tout en procédant selon son propre protocole (XML-TEI), l’équipe des BVH chargée de la transcription et de l’encodage d’EB, pourra s’y référer.
Alain Legros, 28 janvier 2013 (mis à jour)
Bibliothèque municipale de Bordeaux
Version numérique complète disponible en ligne sur The Montaigne Project (Université de Chicago)